
Alors que les flux mondiaux de millionnaires atteignent un niveau record en 2025, le continent africain affiche un visage contrasté. Trois pays — le Maroc, Maurice et les Seychelles — parviennent à attirer de nouvelles fortunes, tandis que de grandes économies comme l’Afrique du Sud, le Nigeria ou l’Egypte continuent de voir partir leurs élites vers des havres fiscaux internationaux comme Dubaï ou Monaco. Décryptage d’une Afrique à deux vitesses dans la compétition mondiale pour la richesse mobile.
La Presse — En 2025, un phénomène discret mais stratégique s’accentue : la migration internationale des grandes fortunes. Si le monde enregistre un nombre record de millionnaires changeant de pays, l’Afrique illustre plus que jamais un paysage à double vitesse. D’un côté, certains Etats comme le Maroc, Maurice ou les Seychelles parviennent à attirer des profils à très haut revenu.
De l’autre, des puissances régionales comme l’Afrique du Sud, le Nigeria ou l’Egypte voient leurs élites économiques continuer à s’installer hors du continent. Selon le dernier rapport de «Henley & Partners», élaboré avec la société sud-africaine «New World Wealth», plus de 142.000 millionnaires ont déménagé en 2025, marquant une progression nette par rapport à 2024.
Cette dynamique mondiale de relocalisation patrimoniale traduit une quête accrue de stabilité politique, de sécurité, d’environnement fiscal favorable et de perspectives d’investissement ciblées. Comme le souligne le rapport, « les individus à haute valeur nette sont souvent les premiers à bouger lorsqu’un pays traverse une période d’instabilité politique ou économique ».
Le Maroc et les îles, nouvelles niches d’attractivité
Dans cet échiquier de la richesse migrante, trois pays africains se démarquent positivement. Le Maroc gagne ainsi 100 nouveaux millionnaires, attirés par sa stabilité relative, sa proximité avec l’Europe et des initiatives comme « Casablanca Finance City », devenue une place financière d’envergure régionale.
La valeur de cette richesse migrante est estimée à près de 900 millions de dollars. D’après « Henley & Partners », « Casablanca se positionne désormais comme un hub financier crédible pour les investisseurs africains et internationaux ». Maurice, qui enregistre également un gain net de 100 « High Net Worth Individuals » (HNWIs), ou grandes fortunes, mise sur sa fiscalité avantageuse, la solidité de ses institutions et ses dispositifs de résidence par investissement bien rodés.
L’île consolide ainsi sa réputation de carrefour financier entre l’Afrique et l’Asie. Le rapport qualifie Maurice de « refuge fiscal stable et sophistiqué » pour les fortunes souhaitant s’implanter dans l’océan Indien. Quant aux Seychelles, elles attirent 50 millionnaires supplémentaires.
Derrière cette performance : l’absence d’impôts sur le revenu pour les non-résidents, un cadre juridique souple et un environnement de vie premium. « Les Seychelles combinent avantages fiscaux et qualité de vie, ce qui en fait une destination montante pour les expatriés fortunés », notent les auteurs du rapport.
Grandes puissances en perte de vitesse
Malgré ces signaux positifs, le continent dans son ensemble continue d’exporter sa richesse. Le Nigeria, confronté à une instabilité chronique, enregistre une perte nette de 200 millionnaires, pour une valeur de 1,5 milliard de dollars. L’Afrique du Sud en perd 250 (1,6 milliard), malgré un ralentissement de l’exode par rapport à l’an dernier. L’Egypte et l’Angola enregistrent respectivement des déficits de 100 et 50 HNWIs.
Ces départs s’expliquent par des préoccupations de sécurité, de gouvernance, d’accès au capital ou encore par une fiscalité peu compétitive. « Henley & Partners » avertit : « Les grandes économies africaines font face à une érosion continue de leur capital humain et financier si elles ne mettent pas en œuvre des réformes adaptées ».
Sur le plan mondial, les Émirats arabes unis confirment leur rôle de hub fiscal majeur, avec un afflux de près de 9.800 millionnaires en 2025. Dubaï, en particulier, attire aussi bien les fortunés africains que les élites du Moyen-Orient ou d’Asie. « Dubaï combine un régime fiscal ultra-attractif avec un environnement sécurisé et internationalisé », commente « Henley & Partners ».
Monaco et Malte poursuivent également leur ascension. Le premier reste une destination de choix pour les ultra-riches, notamment grâce à son statut fiscal unique et son image de prestige. Le second, malgré des interrogations juridiques autour de son programme de citoyenneté par investissement, accueille 500 millionnaires de plus en 2025, confirmant son attrait comme porte d’entrée vers l’Europe.
Vers une Afrique plus attractive?
Un point notable : l’Afrique du Sud connaît une amélioration de son solde migratoire par rapport aux années précédentes.
Alors qu’elle perdait 600 millionnaires en 2024, elle n’en perd que 250 en 2025. Ce ralentissement pourrait témoigner d’un retour partiel de la confiance ou d’un rapatriement stratégique dans un contexte géopolitique mondial instable. Par ailleurs, certains hubs technologiques africains — notamment au Nigeria, au Kenya, en Egypte ou en Afrique du Sud — commencent à montrer leur potentiel. Même si leur impact reste limité à court terme, leur croissance pourrait à moyen terme servir de levier de rétention, à condition d’être accompagnée de réformes fiscales et sécuritaires solides. En définitive, la cartographie des flux de richesse mobile en Afrique révèle une fracture profonde.
D’un côté, des États agiles et bien positionnés réussissent à capter une part croissante de la richesse mondiale en migration.
De l’autre, les grandes économies africaines, malgré leur poids démographique et économique, échouent encore à créer un environnement suffisamment rassurant pour leurs propres élites.
Comme le résume le rapport : « A l’ère de la richesse mobile, les pays qui attirent les grandes fortunes sont souvent ceux qui offrent le meilleur équilibre entre liberté économique, stabilité politique et qualité de vie ».